GRANITO & TERRAZZO – LA MATIÈRE

 

HISTORIQUE GRANITO &TERRAZZO

Le granito, terme générique en France (Opus signinum) , ou « terrazzo alla veneziana » ou encore « terrazzo alla genovese » selon le mode de mise en oeuvre, est un revêtement de sol décoratif qui trouve ses premières applications véritables dès l’époque hellénistique et fut importé de Grèce en Italie à l’occasion des invasions romaines.

Si certains archéologues qualifient de « Terrazzo » des sols issus de fouilles remontant à l’ère néolithique précéramique (9000 à 8000 av. J.C.) et composés d’un agglomérat de chaux vive, de calcaire broyé et d’argile coloré en rouge à l’ocre et poli, il semble plus probable que les plus anciens vestiges d’emploi de tesselles aléatoires décoratives sous forme de décors mosaïques mis à jour, (Mosaïque: appareillage de pierres qui appartient aux Muses) remontent aux alentours de 4500 Av J.-C. en Mésopotamie dans le cadre de l’édification du palais de Warka en Irak. (Actuel Uruk)

Détail de vestige de sol - temple aux mosaïques - Warka - 4500 avant JC

Alors que depuis cette lointaine antiquité, à Carthage, Pompeï ou encore Palerme, les notables font appel à des mosaïstes pour réaliser des décors en marbre pour les sols, en émaux et or pour les plafonds, les moins fortunés utilisent des revêtements plus économiques  issus de résidus de ces matériaux précieux.

Ce qui n’était donc au départ qu’un hasardeux agglomérat de terre battue mélangé à des débris de matériaux de toutes sortes fut très probablement à l’origine compacté et poncé involontairement par l’usure naturelle du temps et des passages successifs avant qu’un œil avisé ne s’intéresse au résultat inopinément obtenu.

Les premiers inserts de granulats de marbres répondirent sans aucun doute à des aspirations décoratives et eurent pour mérite de considérablement durcir les parements de surface, pour se substituer progressivement aux briques pilées initiales jusqu’à les éliminer totalement.

Ainsi naquit le « Granito/Terrazzo » qui signifiait au départ « Remblai » ou « Terrasse » en Italien.

A la fin du moyen âge, la conjonction de l’essor de Venise, de ses besoins architecturaux, et la présence des carrières de marbres dans la région de Vérone facilita l’approvisionnement des agrégats et permit d’alimenter directement La Sérénissime via le cours du fleuve « Adige » en aval.

Ces granulats, de plus en plus fins au fil des ans, des concassages et des demandes des artisans, enrichirent encore les débouchés esthétiques des motifs et autres variations thématiques de cette matière.

Le liant de base était alors composé de chaux aérienne éteinte et de terres cuites concassées, les éclats de marbre étaient semés puis battus pour pénétrer dans ce mortier. Le ponçage était effectué au moyen d’un « orso », sorte de meule de pierre fixée à l’extrémité d’un manche de bois avec lequel les artisans frottaient le sol jusqu’à obtenir l’aspect requis, la protection capillaire de finition étant constituée d’un mélange à base d’huile de lin.

Et c’est tout naturellement dans la cité lagunaire vénitienne que ce procédé atteint son apogée tant en maîtrise technique qu’en aboutissement esthétique au XIIIè siècle, pour être définitivement intégré aux concepts architecturaux des édifications de cette période.

Maison de Dionysos Grèce antique - Iles des Cyclades - 3è siècle avent JC
Pompei - Vestige de sol Terrazzo et mosaïque - 1er siècle avant JC
Un Terrazzaro en habits vénitiens avec son outillages - 13è siècle
Palais des Doges - Salle du grand conseil

Les remarquables qualités du granito/terrazzo, notamment pour sa stabilité en milieux humides et sa longévité, en ont donc fait le principal constitutif des sols des plus beaux palais vénitiens tels que le Palais des Doges, dont la salle du grand conseil représente à elle seule une surface de 1325 mètres carrés d’un seul jet, mais aussi les Palazzo Loredan, Ca d’Oro, Palazzo Rezzonico, Palazzo Grassi, etc., encore parfaitement conservés 800 ans après leur réalisation !

 

Ce procédé devint ainsi ces six derniers siècles le domaine privilégié et même réservé des artisans du Frioul (nord-est de l’Italie) du fait de leur incontestable expertise, fruit d’un savoir faire traditionnel et ancestral transmis de génération en génération au point de finir par constituer une confrérie patriarcale: « i terrazzieri ».

 La première du genre est officiellement enregistrée en 1582 à Venise sous la dénomination de « Confraternita dei Terrazzieri » et peut être comparée à ce qu’est aujourd’hui une de nos « chambre syndicale ».

Principe de coulage d'un Terrazzo à la vénitienne
Le maître Francesco Crovato et ses artisants - Venise 1896
Semis et compactage des granulats de marbres.
Semis des granulats de marbres

L’entre-deux guerres et la vague « Art-Déco » des années 1920-1930 a vu l’exportation de ce savoir-faire au départ de la Vénétie à travers toute l’Europe du nord où les maîtres du genre ont donné la pleine mesure de leur créativité en nous laissant en héritage des oeuvres dont un très grand nombre est encore présent aujourd’hui, y compris dans les demeures les plus modestes.

De nos jours, le liant principal est le ciment (blanc ou gris), teinté ou non dans la masse, agrémenté d’éclats de marbre de toutes granulométries qui sont incorporés directement dans le mélange de base avec le ciment. On n’a plus recours au « semé » que si l’on veut créer un dégradé ou un motif particulier dans le sol.

En France, si de nombreux sols, cimaises et escaliers ont été réalisés en granito coulé « in-situ » dans ces années 1920/1930, le procédé a cédé la place dans les années 1950/60 à une mise en oeuvre sous forme de dalles préfabriquées 20×20 ou 30×30 le plus souvent. Force est de reconnaitre que, si la robustesse de ces dalles est indéniable, en revanche, le coté original et créatif de la matière y a beaucoup perdu.

Le Granito est ensuite tombé en désuétude en France jusqu’à ce qu’il soit redécouvert par les milieux architecturaux et décoratifs au début des années 1990.

 Il est aujourd’hui mis en œuvre sous forme de sols coulés en place le plus souvent, avec ou sans incorporation de mosaïques, mais est aussi utilisé, du fait des ses remarquables caractéristiques mécaniques et de résistance apparentées à celle des bétons, (il peut même être ferraillé et moulé) pour réaliser de multiples applications telles que des plans de vasques de salles de bains, des plans de cuisines, des douches à l’Italienne, des habillages muraux et même de façades, des plinthes, des bassins, des bords de piscines, des cheminées etc.

Ponçage manuel à l'Orso
Battage des granulats de marbres
Réalisation à l'ancienne d'un véritable terrazzo vénitien
Première ponceuses électriques
Définition Granito & Terrazzo:

–  Y a t-il une différence entre le « Granito » et le « Terrazzo »?

Cette différence existe bien de par le mode de mise en oeuvre: Le « Terrazzo » est réalisé en deux étapes de coulage distinctes, l’Impasto en premier lieu qui est le coulage primaire du ciment additionné des granulats fins, et  dans un deuxième temps le semi des gros granulats supérieurs à 5mm qui devront être roulés ou battus pour être insérés dans le primaire encore frais. (Voir détails et photos ci-dessus).  Le « Granito » quant à lui s’exonère purement et simplement de la deuxième phase de mise en oeuvre; on ne réalise que l’impasto sous forme de chape mince directement sur le support structurel sans le semi des gros grains. Ce procédé, peut aussi dans certains cas, être appelé « Terrazzo alla Genovese ». (Technique du frais sur frais ou encore de l’application dite « à sec »).

 

– Nous pouvons également nous interroger sur l’origine des raisons pour lesquelles le terme de « Terrazzo » est unanimement employé à l’étranger alors qu’en France, faisant figure d’exception, le nom de « Granito » est plus usuellement utilisé pour qualifier cette matière.

– La réalité historique de cette subtilité sémantique provient du siècle dernier lors de la période Art-Déco au cours de laquelle les préférences esthétiques et surtout économiques de nos maîtres d’oeuvres Français ont privilégié les mises en oeuvre de « Terrazzo » uniquement formulés à l’aide de granulométries de petites dimensions, inférieures à 5mm, beaucoup plus rapides à couler et à poncer, et par là même, bien moins onéreuses.  « Granito » qui signifie en Italien « petit grain », (et non pas en raison de sa similitude phonétique ou esthétique avec le granit comme on peut parfois l’entendre dire….) était le nom donné par les ouvriers Terrazzieri de l’époque à ce procédé d’application. La mode des « petits grains » est passée, mais le nom « Granito », en France, est resté.

Les procédés de coulages modernes et les considérables progrès des liants ciments d’aujourd’hui permettant la substitution du contrôle de retrait mécanique fastidieux et complexe, par le contrôle de retrait hydraulique plus abordable, ont rendue cette subtilité caduque.

En conclusion, si l’on s’en tient à la pure terminologie, le semi vénitien ayant totalement disparu ou presque, la matière n’est plus mise en œuvre aujourd’hui que sous sa forme de « Granito ». Toutefois, on admet communément que l’on peut désormais utiliser, en France, l’une ou l’autre de ces dénominations quel que soit le process de mise en oeuvre, seule la distinction granulométrique conserve toute son actualité.

 

Liant ciment ou liant résine ?

 Si la distinction Terrazzo/Granito existe comme développé ci-dessus, elle n’est en rien justifiée par la nature du liant employé (résine ou ciment) contrairement à ce que certains « spécialistes » peu soucieux des réalités historiques voudraient faire croire, puisqu’aussi bien le Terrazzo que le Granito existaient déjà en France au début du siècle dernier, bien avant que n’apparaissent il y a quelques années ces résines de synthèse. Lesquelles résines d’ailleurs, davantage apparentées aux revêtements thermoplastiques qu’à tout autre produit de nature minérale, sont fortement sujettes à controverses tant leur stabilité chromatique (Ultra-violets) tout comme leur pérennité restent encore à ce jour à démontrer.

Enfin, la mise en oeuvre d’un véritable Terrazzo en liant résine est tout simplement irréalisable techniquement compte tenu d’une part, du temps de polymérisation très court de ce type de procédé et d’autre part, de l’impossibilité de rouler ou battre les grains des semis.

En conclusion, et à titre de comparaison, les exemples les plus illustres que sont les sols des palais vénitiens réalisés en liants ciment et chaux et dont les plus anciens ont près de 800 ans n’ont plus rien à prouver en matière de pérennité.

 

Texte: Jean-Pierre Araldi

Photos: Pavimenti alla Veneziana – Antonio Crovato – Edizioni Grafi – 1999

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